Fried Hof

C’est le troisième jour du déconfinement. Ce matin en dansant sur les planches devant l’étang le bruit avait augmenté d’au moins cinquante pourcent. La vie d’avant revient comme si presque rien était. Le filtre de l’autorisation de sortie qui nous avait accompagné pendant deux mois est entrain de s’effacer. À plusieurs moments j’ai regardé mon téléphone pour m’informer de l’heure pour ensuite me dire “c’est fini, on a plus besoin de ça” et de me sentir libérée à cette idée. Cela s’est également traduit dans mes mouvements et mon orientation dans l’espace, toutes les directions nord, est, sud et ouest ont été investies. Les possibles reviennent. Certaines notes tristes de ma play liste ont encore trouvé mon oreille ce matin, leur couleur percue était autre, allégée alors ce n’est pas complètement terminé et le futur est toujours incertain. Mais la circonférence de chacun a été élargie de 1000 mètres à 100000 mètres. Le cercles s’ouvrent.

En fin d’après-midi je suis à allée au cimetière, cet endroit avait été évoqué il n’y a pas longtemps lors d’une conversation et pour retrouver le calme qui à nouveau à fait place aux bruits des voitures en journée, je m’y suis rendue, comme le parc reste toujours fermé. Un instant je me suis imaginée une centaine de personnes venir avec moi au cimetière pour retrouver un espace public avec de la verdure et transformer ce lieu en une fête de día de los muertos afin de renaître des cendres de nos angoisses. Sauf que celui ci est bien caillouteux . Et pourtant à un endroit ou des tombes sont arrangées comme des sortes de sculptures, on y trouve de l’herbe haute, des buissons et des arbres avec un banc.

Je me suis assise au soleil. Friedhof, cimetière en allemand veut dire cour de paix, si on décompose le mot en ses constituants, bien qu’à l’origine il s’écrivait Fridhof et avait une autre signification celle de clôture, donc un espace clôturé. Le moment que j’y passe se relie plutôt à la cour de paix. Un moment de répit avant le nouveau présent qui est déjà là. Sur le banc en pierre je me dis que la mort n’a rien d’angoissant, mais que c’est le passage d’un état à l’autre qui nous fait peur. Le calme, le chant des oiseaux que je perçois sur le cimetière est le calme que nous avons vécu les derniers deux mois, qui s’était répandu sur l’ensemble du pays, de l’Europe, une grande partie de la terre. La moitié de la population. Calme atmosphérique. Pourtant la vie était toujours là mais à l’intérieur des immeubles, des maisons, au ralenti. La mort est calme - une absence, un être ailleurs, comme je le disais il y a quelques semaines. Le vent dans les arbres soutient le cheminement du temps. La fin d’un état traversé, le nouvel état émerge en nous.

Les quatre dernières images sur mon téléphone d’abord au cimetière sont le portrait d’un beau jeune homme au trait latin dans les années vingt je suppose, une jeune femme à la fourrure et au cheveux bouclés avec un léger sourire, une vielle couronne de fleurs et une rose en porcelaine obsolescente, puis plus tard des jouets dispersés sur le trottoir comprenant un dés en tissu, deux crayons, un balai multicolore et une pièce de lego.

Le calme m’a suivi dans mon appartement et Cat Power chante Ruin.

What are we doing ?