Tango Luna

Nous avions ris elle et moi, un fou rire comme parfois il nous arrive d’en avoir, un fou rire qui nous relie entre générations jusqu’à ma grand-mère bretonne car je sais qu’elles en ont eu ensemble, comme moi avec elle maintenant. C’était le premier fou rire avec elle au téléphone, libérateur, le rire est si important ces jours-ci. Il permet d’alléger cette situation qui les derniers jours avant la transition vers une nouvelle étape est devenue à nouveau anxiogène.

L’entité que mon appartement était devenu se dissout lentement. Je l’avais investi à tout endroit, observé le passage du soleil dans les pièces, organisé les petits déjeuners, bains de soleil sur les parties ensoleillés le matin, déplacé des objets d’une pièce vers l’autre, installé ma caméra, dansé, filmé, cousu. Il est devenu tout à la fois. Il est moi, nous formons un ensemble une grande partie de la journée. Et maintenant avec l’arrivée du déconfinement mon esprit commence à se balader et je sens qu’on se détache doucement par moment. Un peu comme quand on quitte un ami, l’appartement et moi nous nous éloignons après un rapprochement, une fusion. Il y a des moments de tristesses qui m’ont traversés cette semaine, comme des vagues. Que adviendra ? Les derniers jours s’appèlent inquiétude, replis et réflexion sur ce qui a été. Mais quand mon esprit se pose et mes mains écrivent ces mots nous sommes ensemble à nouveau.

À la fin de notre conversation, elle me demande “Tu vois la pleine lune depuis chez toi ?” Et je sais que, comme moi, elle regarde vers l’est à travers la fenêtre de la salle à manger de notre maison, la maison où j’ai grandi à partir de mes huit ans. Tout est vert en dehors de cette fenêtre et la lune trône dans le ciel. Elle dans mon pays et moi dans le sien. Renversement de situation. Souvent je me suis demandée ce que je suis venue faire ici en fait. Comme un retour mais à sa place, une nostalgie transmise. Je me suis sentie enfin proche après 8 semaines de confinement, car nous regardions la même lune et je savais que l’endroit depuis lequel elle la voit, c’est chez moi. La déchirure de la fermeture des frontières va guérrir lentement et elles rouvront un jour. Pourtant cela m’avais affectée, beaucoup.

Quand nous raccrochons je m’installe devant ma fenêtre ouverte et regarde la lune monter en écoutant le tango.